Allez la france

Le droit de ne pas changer

Son attitude était un message. Souriant, piquant, tolérant envers les journalistes qui observent les huis clos avec les jumelles, et même, sur certains points, moins jaloux de ses secrets que d'habitude, Raymond Domenech a livré une conférence de presse comme une invitation au calme, mercredi. S'il a du mal à comprendre qu'il soit reproché à son équipe d'avoit fait ''seulement'' match nul contre la Roumanie (0-0), il concède qu'il mène une réflexion appuyée avant le France - Pays-Bas de vendredi à Berne. Pour que son équipe se lâche plus. Car Domenech, confirme-t-il aussi, n'a pas l'âme d'un «coupeur de têtes».

«Raymond Domenech, William Gallas suggérait hier qu'un débriefing était nécessaire après France - Roumanie. Qu'en est-il ?
William nous a convoqué pour une réunion, j'avais oublié. On ne l'a pas attendu pour faire des débriefings d'après-match. Je plaisante... On en fait tout le temps. En rentrant de Zürich, ça a même été plus simple. On avait les images du match dans le train et on les a mises au retour. On en a discuté. J'ai déjà vu la plupart des joueurs. On va se revoir aujourd'hui.

Il a semblé prôner des consignes moins strictes et plus de jeu vers l'avant. Qu'en pensez-vous ?
Qu'est ce qu'il a raconté comme conneries dans sa conférence. (Sourire) J'ai pour habitude de dire aux défenseurs que leur premier travail est de défendre, aux milieux qu'ils doivent récupérer les ballons et lancer les attaquants, et enfin, aux attaquants d'aller vite devant et de marquer. Ce sont les consignes stupides d'un entraîneur élémentaire. La première responsabilité d'un défenseur central est d'empêcher l'attaquant adverse de s'exprimer. S'il peut faire plus parce qu'il a des possibilités, il a toute opportunité de le faire. Personne ne lui dit qu'il n'a pas le droit de passer la ligne médiane. Ou alors j'étais inconscient quand j'ai dit un truc pareil.

Pas de consignes restrictives, donc ?
Les restrictions ne sont pas individuelles. Elles concernent l'équilibre de l'équipe : que chacun compense les déplacements de l'autre. Je ne crois pas avoir utilisé le mot ''prudence'' depuis le début de la compétition. Ce que je dis, c'est : sécurité et responsabilité. Après on joue, on se libère, on se lâche. Demandez leur si je leur dis de mettre les ballons en arrière. Je suis dans le registre inverse. C'est le constat que j'ai fait après le match : on a joué avec le frein à main. C'était le premier match, tout le monde était un peu tendu et crispé. Sur ce match, il aurait été criminel que les défenseurs centraux sortent. Les onze roumains dans leur camp n'attendaient qu'un espace.

Gallas vous aurait-il agacé ?
Non, William a le don de me faire rire toujours. Il dit des choses vraies, mais qui ont déjà été dites avant. Ça prouve qu'il écoute.

Certains joueurs vous ont-ils déçu ?
Non. Je connais le contexte, je sais où ils en sont. Je ne fais pas de bilan à la fin de chaque match. Sinon je change cinq ou six joueurs après chaque rencontre pour faire plaisir à tout le monde.

Êtes-vous inquiet ?
Dire qu'on aborde les Pays-Bas et l'Italie le sourire aux lèvres, sereins, en se disant que la vie est belle, ce serait aller un peu loin. Mais les deux autres équipes doivent aussi se dire que jouer les Français et les Roumains, ce ne sera pas facile.

Dans votre esprit, que faut-il changer ? Les hommes, le système, autre chose ?
Et ai-je le droit de ne rien changer ? Oui ? C'est une option de dire que ce groupe est solide, qu'il continue, qu'il va fonctionner. Ça me dérange toujours d'accuser. On n'a fait que match nul contre la Roumanie ? Cette équipe a pris quatre points sur six aux Pays-Bas en qualifications, sans que les Hollandais marquent. Pour ça, il faudrait tout bouleverser ? Pour justifier quoi ? On avance, on va évoluer tous ensemble.

Certains joueurs ne sont pas très en forme.
Il y a plein d'éléments que je mets dans la marmite. J'ai deux jours pour remuer et faire chauffer à feu doux. Je peux considérer que le remplaçant naturel d'un titulaire est mieux sur le plan individuel. Mais je ne raisonne pas seulement en termes individuels. Dans l'équilibre d'une équipe, sa psychologie, il y a des choses à faire et à ne pas faire. S'il suffisait de remplacer des noms par d'autres noms, je ferais des sondages toutes les semaines.

Considérez-vous que la France a joué en bloc contre la Roumanie ?
Pas tout le temps. Mais il est difficile d'y parvenir quand on doit faire le jeu. Ça s'écarte toujours un peu. Il faut prendre le risque d'aller plus vite devant pour ne pas laisser le temps à l'adversaire de se regrouper, mais cela étire le bloc-équipe, et c'est logique quand on joue un adversaire qui va vite les rares fois où il sort.

Pourquoi l'équipe a-t-elle autant de mal à marquer ?
On a des occasions, on fabrique du jeu, mais je répète qu'il ne faut pas confondre le fait de bien jouer et l'efficacité. Il faut s'ancrer dans la tête qu'il faut marquer, avoir plus de mordant dans les zones décisives. C'est mieux d'avoir des joueurs lancés, comme Van Bronckhorst, qui arrivent de derrière pour faire la différence. C'est ce que je leur demande. Si ça ne vient pas de derrière, on ne peut pas se créer beaucoup d'occasions. Depuis deux ans, on a toujours ce genre de difficulté pour finir nos actions. Rien de nouveau.

Les joueurs répètent : ''On peut marquer à n'importe quel moment''...
J'aime bien. Ça implique qu'on est solide. Cela met des restrictions dans le jeu de l'adversaire. C'est vrai, on peut marquer à tout moment, on n'a pas encore trouvé quel moment.

Pourquoi ne parlez-vous pas de la date de la finale, comme en 2006 ?
Parce qu'on a l'Italie et les Pays-Bas dans le groupe. Ce n'est pas pareil. La tension et la pression imposée par l'adversaire font qu'il faut être fou pour avoir des certitudes. Je ne le suis pas. Une fois qu'on sera sorti de là, on pourra voir. Je ne fais pas de projection. Si tout se passe comme je l'ai prévu, il devrait y avoir une première finale contre l'Italie pour sortir du groupe. Mais il est possible aussi que ça ne serve à rien.»

Recueilli par Cédric ROUQUETTE (à Châtel-Saint-Denis)